Depuis qu’ Alice Rivières se sait porteuse du gène de la maladie de Huntington, elle consacre une partie de son temps, avec d’autres, à explorer la maladie et son évolution comme une « planète inconnue » et à en faire le récit. C’est sur ce chemin qu’est né le collectif Dingdingdong que nous avions déjà présenté sur le site. Alice se décrit comme « envoyée spéciale de l’Institut Dingdingdong au Huntingtonland ». Dans cet entretien, elle nous raconte ce que ce rôle veut dire et comment elle l’a rencontré.
Tu peux nous rappeler ce qu’est la maladie de Huntington (MH) ?
George Huntington est le premier à repérer cette maladie en 1872. C’est d’ailleurs Dingdingdong (Ddd) qui a publié pour la première fois en français ses observations de l’époque. En fait c’est une maladie rare, génétique, neuro-dégénérative – désormais on dit plutôt neuro-évolutive, qui affecte le système nerveux central. C’est une maladie, pour l’instant incurable, du cerveau qui entraîne trois types de symptômes. D’abord les symptômes physiques qui s’appellent « la chorée », qui vient de la racine grecque korea, qui veut dire danse, et qui a longtemps donné son nom à la maladie (Chorée de Huntington) parce qu’avant on ne savait la repérer qu’à partir de ça. La chorée est un terme neurologique pour décrire des mouvements incontrôlés et incontrôlables de tout ou partie du corps et qui partent en bourrasque. Ça ressemble beaucoup à de l’ébriété, c’est-à-dire que les gens titubent et en même temps, ils ont des gestes très impressionnants. Il y a aussi des handicaps moteurs évidents : au bout d’un moment, on ne peut plus bien marcher, plus bien se déplacer tout seuls. La chorée peut être discrète ou au contraire très spectaculaire, ça va dépendre complètement des gens et elle va aussi entraîner des troubles laryngo-pharyngés : l’élocution et la déglutition sont perturbées. Donc c’est compliqué de bien manger, de bien s’alimenter, de bien parler. Les muscles faciaux fonctionnement mal, ce qui entraîne une espèce de masque inexpressif du visage. Au niveau moteur, beaucoup de choses sont perturbées, ce qui entraine un handicap vraiment très important.
La deuxième famille de symptômes, ce sont les troubles cognitifs, c’est-à-dire que la façon de réfléchir et de penser est altérée. Tu sais tout à fait qui tu es mais tu peux avoir des petits troubles de la mémoire immédiate et des problèmes de confusion, surtout temporelle : le rapport au temps change un peu. Il y a beaucoup de changements dans ce qu’on appelle les facultés cérébrales supérieures, qui sont impliquées dès que l’on réfléchit, quand on planifie une action par exemple. Ces mécanismes sont très ralentis avec la MH. Si bien qu’avec Huntington, on ne peut plus faire qu’une seule chose à la fois ce qui pose beaucoup de problèmes dans la vie quotidienne. Ce n’est pas terrible en soi mais quand c’est confronté à un environnement où les rythmes sont ce qu’ils sont, où tu es évalué sur ta compétence à suivre ces rythmes, cela peut le devenir.
Et la troisième famille de symptômes, évidemment corrélés à tout ça, sont des souffrances psychologiques très graves, avec parfois des manifestations « psychiatriques » vraisemblablement en partie dues aux deux premières familles de symptômes, à tout ce que je viens de décrire. La vie, la façon d’être se mettent à changer complètement, sans que ce soit du jour au lendemain évidemment. Les difficultés d’accès au langage, à la communication entraînent une frustration et un sentiment d’impuissance douloureux. Il y a par ailleurs une difficulté neurologique à gérer les émotions. Tout cela peut se manifester par ce que les soignants appellent des « troubles du comportement ». Or qui dit trouble du comportement, dit administration de neuroleptiques. Dans l’absolu, on n’est pas contre les médicaments mais on est contre leur recours non judicieux ! C’est une maladie extrêmement complexe qui engage à la fois le corps physique et la cognition, et la cognition est très caractéristique de ce qu’est un être humain, surtout par chez nous où le Cogito de Descartes, « je pense donc je suis », est une valeur suprême. Donc quand quelqu’un se met à ne plus penser de la même manière, les gens peuvent avoir tendance à dire qu’il ou elle est en train de disparaître. À Dingdingdong, on n’est pas du tout d’accord avec ça. Pour nous, on n’a juste pas les bons outils pour accompagner cette métamorphose.
Pour terminer sur la maladie en tant que telle, il y a 6000 à 8000 cas en France, la maladie se transmet de parents à enfants avec 50% de probabilité de transmission parce c’est une maladie monogénétique (un seul gène impliqué), autosomique dominante (qui ne saute pas de génération), par ailleurs à « pénétrance complète », c’est-à-dire qu’une fois qu’on est porteur de l’anomalie génétique, elle s’exprimera à coup sûr. Il y aurait seulement 1% de cas de porteurs qui ne l’ont pas développé c’est sans doute qu’ils sont morts d’autre chose avant.
La maladie se déclare donc avant 50 ans ?
La date début se trouve dans une très grande fourchette, c’est-à-dire entre 35 et 50 ans selon les statistiques. Pour les formes les plus précoces, les « formes juvéniles », tu peux la développer vers 20 ans voire avant, mais c’est vraiment très rare. Et il existe une forme tardive, qui touche environ 20% des personnes, qui vont la développer après 60 ans, et dont la forme sera un peu plus douce. Pour la grosse moyenne ça commence à se développer entre 40 et 55 ans, donc le gros des personnes est affecté très jeune quand même, au milieu de la vie active. Cela a des incidences personnelles, familiales, sociales, économiques très importantes et invalidantes. Il faut savoir que potentiellement 50% des membres d’une même famille peuvent être touchés, et qu’on peut être aidant familial, tout en étant à-risque voire porteur et malade soi-même…
Pardonne moi l’expression mais la maladie « ne tombe jamais du ciel » ?
D’une certaine manière si, ça peut tomber du ciel. C’est ce qu’on appelle une néo-mutation qui est un phénomène possible dans notre fonctionnement génétique. Mais c’est très rare. Ce qui peut arriver aussi et peut être très cruel, c’est d’être ce que j’appelle moi « porteur sain», c’est-à-dire que tu peux avoir un petit peu de Huntington sans le déceler mais en revanche si tu fais des enfants, eux peuvent hériter d’une version plus forte que la tienne. On voit alors des gens développer la maladie alors qu’elle ne s’était pas vue chez leurs parents, ou alors qu’elle s’était développée tellement tard qu’on l’avait confondue avec le grand âge.
Pourquoi est-on passé du terme neuro-dégénératif au terme neuro-évolutif ?
On entend encore beaucoup neuro-dégénératif ! Cette évolution du mot est toute récente. Ça a été toute une réflexion portée par les acteurs du plan maladie neuro-dégénérative II (Alzheimer, Sclérose en plaque (SEP), Parkinson, et pas Huntington d’ailleurs car Huntington est « coincé » dans le plan maladies rares) et notamment par l’Espace Éthique Ile-de-France. Si on prend la stricte définition du mot, la vie est une maladie neuro-dégénérative : on « neuro-dégénère » tout le temps à partir d’un certain âge ! À Ddd on conteste ce terme parce qu’on trouve que mettre tout sous le signe de la dégénérescence, c’est quelque chose qui va absolument nous écraser avant même qu’on ait commencé à élaborer des stratégies de vie avec ça. Le filtre de la neuro-évolution nous a paru plus juste parce que ce sont des maladies, en tout cas pour Huntington, qui évoluent en zig-zag, avec des moments où ça ne va pas, surtout au moment des transitions, puis des moments où ça va mieux etc.
« Ce qui nous intéresse, nous, c’est tout le processus de vie elle-même qu’on va avoir avec cette maladie. »
La maladie évolue forcément négativement ?
La fin est forcément négative, oui. Mais pour nous ce n’est pas la fin le problème – de toutes façons, la maladie est incurable, donc ça, il faut l’accepter. Ce qui nous intéresse, nous, c’est tout le processus de vie elle-même qu’on va avoir avec cette maladie. Donc le terme de neuro-évolution nous parle beaucoup plus et on le trouve plus juste. Certaines personnes touchées peuvent volontiers reconnaître qu’elles sont en train de neuro-évoluer ! En général, les médecins ne sont pas vraiment d’accord avec nous, même si ça commence à venir.
Pour toi tout part de ce fameux test génétique, comme tu le racontes dans le Manifeste de Dingdingdong (Éditions Dingdingdong, 2013).
Nous sommes trois sœurs, et nous n’avions aucune idée que la maladie de Huntington était dans notre famille : on avait juste une maman, seule et divorcée, qui prenait un drôle de coup de vieux autour de la cinquantaine. On s’est mises à s’inquiéter parce qu’elle n’était pas facile du tout dans sa manière d’être, elle était très triste et en même temps assez violente quand ça n’allait pas. Mais elle avait des histoires dans sa vie personnelle qui pouvaient aussi expliquer ça ! Les maladies neurologiques épousent qui tu es par ailleurs. La maladie va amplifier les difficultés. Nous on ne savait absolument pas que c’était Huntington. On la voyait tituber, on pensait même qu’elle était alcoolique, des choses comme ça. Tout cela nous a éloignées d’elle. On avait du mal à apprécier sa compagnie. Au bout d’un moment, moi j’ai bien vu qu’un truc n’allait pas au niveau santé. Il y avait de vraies problématiques d’équilibre, etc… C’est finalement lors d’un enterrement qu’on a appris qu’il y avait du Huntington dans la famille. Le papa de ma maman avait cette maladie, et notre mère l’avait appris mais n’avait pas voulu nous le dire. À ce moment-là, nous avons fouillé sur internet pour savoir ce que c’était, on est tombées de notre chaise, totalement dévastées. Le programme de dégénérescence tel qu’il y était présenté était atroce, ce n’était pas seulement dégénérer mais aussi devenir fou.
Après tout ça, on a décidé d’en parler à notre mère. On lui a dit qu’on avait deviné. Pour respecter le secret des gens qui nous l’avaient dit, on lui a dit qu’elle avait un problème et que ce problème, ce n’était pas elle, c’était Huntington. Ça s’est plutôt bien passé, elle avait très très peur qu’on lui en veuille. Elle était sur le point de nous l’apprendre nous a-t-elle dit. Elle attendait le plus possible parce qu’elle se disait que c’était une nouvelle tellement fracassante dans la vie d’un être humain, qu’elle n’avait pas envie de fracasser ses filles avant qu’elles aient profité de la vie. À partir de là, on s’est posées la question du test génétique.
Est-ce que selon toi, avec le recul, elle a bien fait de la cacher ?
Je peux comprendre qu’elle l’ait caché même si moi je ne sais pas ce que j’aurais fait et je ne le saurai jamais car je n’ai pas d’enfants. Par ailleurs ça peut générer des conséquences graves de le cacher, je pense à mes sœurs qui ont fait des enfants par exemple. En le sachant on peut éviter le risque de transmettre (il y a des procédures de FIV possibles pour mettre au monde des enfants non porteurs), ça nous laisse le choix. Là on n’a pas eu le choix. Mais moi je n’ai pas fait d’enfant.
A cause de ça ?
Non. C’est pour d’autres raisons. D’ailleurs j’ai eu à un moment donné un projet d’adoption qui m’a été bien renvoyé dans les cordes par l’équipe que j’ai vu au moment du test : « mais vous n’y pensez pas, quelle mère vous allez faire ? » On te projette dans quelque chose d’effroyable et les commentaires sur la perspective d’être parent constitue un exemple : tu ne pourras pas être une bonne mère. Alors que ce n’est pas vrai. Evidemment, ça complexifie les choses. On n’est pas des parents parfaits mais personne ne l’est. Or plutôt que de nous dire ça, il faut plutôt chercher à aider les gens à devenir de meilleurs parents possibles !
Finalement avec ma mère, une fois qu’on a su, on s’est vraiment rapprochées… On a compris plein de choses de sa maladie et cette compréhension nous a amenées à nous calmer. La maladie ne rend pas les gens violents mais elle rend la situation violente parce qu’il y a un décalage entre cette lenteur, cette difficulté pour réfléchir, ressentir et s’exprimer et l’environnement. L’environnement doit être accueillant vis-à-vis de ça. Malgré nous, nous étions rendues violentes vis-à-vis de notre mère qui du coup elle, l’était aussi. La violence génère de la violence.
« On a créé le collectif Dingdingdong pour ça, pour accompagner ceux qui étaient écrasés, pour injecter du temps, de la pensée, des possibles, du plaisir, de la vitalité »
Après avoir appris la maladie de ta maman, il y a ce dilemme du test avec tes sœurs.
A ce moment là on est en 2006. Il faut savoir que le test existe depuis les années 90, et il y a deux types de tests. Le premier pour une personne comme moi, pré-symptomatique, qui n’a pas encore de symptômes mais qui est « à risque » du fait que la maladie touche l’un de ses parents. Le deuxième est le test de confirmation, pour les personnes qui commencent à avoir certains symptômes. Dans la vie, il y a très peu de situations où on peut te proposer de connaître ton avenir à l’avance et en gros la manière dont tu vas mourir. En plus, des gens ont estimé qu’une fois que tu développes Huntington tu n’en as plus que pour 12 ans, ce qui est ridicule. Pour moi, il n’y a pas de norme mais les gens adorent les statistiques. Il y a un amalgame entre faire le test, se savoir porteur et en effet être malade. Quand j’ai passé mon test, j’ai eu le sentiment qu’on me parlait comme si j’étais déjà malade. Ce test entraine des questionnements et des bouleversements personnels complètement vertigineux, or on est très peu accompagnés pour réfléchir à tout ça de manière intéressante.
J’ai mis trois ou quatre mois pour prendre la décision de le faire. Il faut savoir que l’immense majorité des gens à risque ne font pas le test. Seulement 10 à 15% des gens à risque le font, surtout des personnes qui sont dans un projet de parentalité et qui cherchent à voir comment éviter le risque de transmission à leurs enfants, ce qui est aujourd’hui possible.
Donc c’est la peur de connaître son destin ?
À quoi ça sert ? Il n’y a pas de traitement. À quoi ça sert de savoir ? Pourquoi faire ça ? Qu’est que ça t’amène ? C’est la question du siècle. C’est irrémédiable, une fois que tu le sais tu ne peux pas le « dé-savoir ». Toutes tes rencontres, tout ce qui compte pour toi, ton travail, tes désirs, tout va être ligoté avec ça.
Est-ce que c’est seulement le test qui entraine tout ça. Est-ce que le fait de savoir que par tes parents tu es potentiellement touchée ne suffit pas à subir cette pression ?
Oui, le seul fait de se savoir à risque est très difficile. C’est une probabilité sur deux, donc c’est énorme. Beaucoup de personnes apprennent peu à peu à composer avec leur doute, en se disant qu’elles sauront mieux composer avec ce doute qu’avec la certitude d’avoir la maladie, dans le cas où elles apprendraient qu’elles seraient porteuses. C’est très très personnel : il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises conduites face au test (à part, pour moi, le fait de se précipiter, qu’il vaut mieux éviter). En fait, dans ce genre de choses, au tout début, t’es complètement flippé, parce que ça te tombe dessus, ça t’écrase.
Finalement on a créé le collectif Dingdingdong pour ça, pour accompagner ceux qui étaient écrasés, pour injecter du temps, de la pensée, des possibles, du plaisir, de la vitalité et ne pas juste être complètement écrasé. En partant du constat qu’il n’y avait pas assez de pensée, d’intelligence autour de cette pratique du test. Moi, par exemple quand je me posais des questions sur le fait de faire ou non ce test, je suis allée voir une psy spécialiste de Huntington qui m’a répondue que je devais me considérer comme une pièce de monnaie : ce serait pile ou face. Donc tu repars, t’es une pièce de monnaie ! Tu ne peux pas penser bien les choses avec ce genre de métaphore. En plus on te dit que tu ne vas même pas te rendre compte que t’es malade car la MH serait anosognosique (un symptôme neurologique qui rend les personnes incapables de sentir qu’elles sont malades, ndlr), or si ça l’est en partie, en général les gens se rendent compte de la maladie. Malgré cela ils ont envie de continuer à vivre, de conduire etc. Et on peut tellement le comprendre !
Au niveau de la conduite, ce peut être une négociation à n’en plus finir parce qu’en effet au bout d’un moment ils deviennent dangereux. Mais ils ne sont pas inconscients, ils ont conscience du regard des autres et de ne plus pouvoir faire les choses. Au fur et à mesure des années, j’ai discuté avec des centaines de personnes malades et je me suis aperçue que les définitions médicales étaient extrêmement rapides et tronquées, et parfois même pas très justes parce qu’elles vont trop vite en besogne. Par exemple, quand ces définitions disent que les personnes deviennent démentes, on ne sait pas vraiment ce qu’elles veulent dire. Avoir du mal à s’exprimer, ce n’est pas être dément. Le ralentissement cognitif fait que tu t’exprimes beaucoup moins bien mais est-ce que ça fait toi quelqu’un de dément ?
Tu as pris quatre mois pour réfléchir au test. Regrettes-tu ton choix aujourd’hui ?
J’ai été trop vite. Parfois les gens mettent des années et ils ont bien raison. J’ai une philosophie existentielle qui me défend de regretter parce que ça ne sert à rien. Cependant je reconnais que j’ai été trop vite car je ne savais tellement pas bien faire avec cette énigme du test, je ne savais tellement pas quoi penser de ce truc que j’ai réfléchi comme une folle. Un coup je voulais le faire, un coup non, un coup oui, un coup non et à un moment donné j’ai pris la décision de le faire. Et là j’ai décidé de foncer, de blinder parce que j’avais peur de rechanger d’avis. Rien n’était normal dans cette situation donc je n’arrivais même pas à faire confiance à mon propre avis dans cette histoire. J’en ai assez peu parlé autour de moi parce que j’avais peur que les gens me disent « Non non non, attends ». D’ailleurs ma mère et mes sœurs me disaient d’attendre.
Tu racontes que tu étais persuadée que tu n’avais pas la maladie au moment où tu fais le test.
Des gens sont persuadés qu’ils sont porteurs, d’autres non. Moi, j’étais persuadée de devoir tout faire pour m’en débarrasser et que le test était un moyen pour ça. Donc ça voulait dire que je ne me sentais pas touchée. Sauf qu’en fait je l’avais. Tu ne peux pas le savoir ni le sentir quand tu es pre-symptomatique.
« Mais non, mais vous n’y pensez pas, quelle mère vous allez faire ? »
Tu peux nous décrire un peu le test ?
C’est un protocole interdisciplinaire qui a été pensé à partir de guidelines (lignes de conduites, ndlr) internationales. Parce que c’était une première mondiale de faire ce genre de choses. Ça a été pensé avec des généticiens, des psychologues etc. Tu vois un généticien qui t’explique le risque, tu vois un neurologue spécialiste qui t’explique ce qu’est la maladie. Tu vois un psychiatre, un psychologue. À chaque fois, il te demande si tu veux continuer…
Et qu’est ce qu’ils te poussent à le faire ? ils t’incitent à continuer ?
Non, ils ne t’incitent pas justement, ils sont beaucoup dans la précaution, ils ont peur que tu te suicides notamment. Il y a des passages à l’acte. Moi, je l’ai ressenti comme un frein et plus je sentais qu’on me freinait plus je voulais avancer. Au bout d’un moment pour qu’on me fiche la paix, je leur répondais comme je sentais qu’ils voulaient que je réponde. Ce n’était vraiment pas intéressant comme expérience. Cela dure pendant à peu près 6 semaines puis tu dois réitérer ton désir de faire le test et là ils te disent si oui ou non ils souscrivent ou pas. S’ils sentent que tu es trop fragile, ils peuvent te recommander d’attendre. Donc t’es vraiment obligé d’être positif mais pas trop quand même parce que sinon ils te disent que tu n’as pas assez d’émotions, c’est vraiment compliqué.
Il y a énormément de gens qui passent à l’acte ?
Non, pas énormément mais la médecine d’aujourd’hui pense en termes de précaution. Même si il y a eu trois cas en 10 ans, ils vont être obsédés par ça : c’est toujours le pire qui détermine beaucoup de leurs pensées et de leurs pratiques.
Dans le Manifeste tu dis quelque chose d’assez fort : « ce qui m’étonne, ce n’est pas qu’il y ait des suicides ou des passages à l’acte mais c’est qu’il y ait des survivants », au test donc.
Je trouve que la manière dont il est appliqué peut fabriquer de la tragédie, oui. Pour revenir sur mon cas : finalement je confirme que je veux le faire, je fais une prise de sang, là tu attends un mois au moins parce que ça part dans deux laboratoires distincts. Quand je suis revenue pour le résultat, la « consultation » a duré 15 minutes. La personne qui m’a annoncé le résultat m’a dit qu’elle était étonnée parce qu’elle avait plutôt senti que je n’étais pas porteuse – je ne sais pas d’où elle peut sentir que les gens sont porteurs ou non parce que, par définition, tu ne peux pas. Puis elle a dit « c’est une mauvaise nouvelle, vous êtes porteuse ». Et là tout s’écroule. J’ai quand même réussi à parler de mon projet d’adoption et elle a répondu : « mais non, mais vous n’y pensez pas, quelle mère vous allez faire ? » J’ai mis très longtemps à avoir un regard critique là-dessus, parce qu’il a fallu d’abord que je me remette moins du fait de me savoir porteuse que de ces paroles. C’est pour ça que je dis que c’est étonnant qu’il y ait des survivants. Quand on te dit qu’en gros toutes tes possibilités sont réduites à néant, que tu ne vas rien pouvoir faire etc., alors que tu n’as pas encore commencé la maladie.
Par ailleurs il se trouve que je suis atteinte d’une autre maladie neuro-dégénérative, la Sclérose en plaques (SEP) – je suis une cumularde ! – et quand j’ai reçu mon diagnostic de SEP, ça s’est passé complètement différemment. On m’a dit : « c’est sérieux, c’est grave mais ce qui nous importe c’est que vous puissiez, grâce à notre soutien, continuer à faire ce que vous aimez faire ». Alors que Huntington, comme c’est génétique et un peu spectaculaire on fait comme si il n’y avait plus rien à faire. J’étais persuadée que j’étais déjà malade en sortant du test. Je suis sortie et j’ai perdu l’équilibre. Je suis tombée malade à cause du test. J’ai mis dix ans à me débarrasser de cette espèce d’effet nocebo. Je connais plein d’autres gens dans le même cas. Maintenant mon Huntington est en train d’arriver, vraiment, mais je sais que j’ai plein de choses à faire non pas tant pour le guérir (cure) que pour le soigner (care).
Après le test, ce qui m’a aidée, c’est de faire une thérapie, c’est d’envisager comment accepter tout ça, comment l’articuler à qui je suis. C’est de prendre des traitements antidépresseurs parce qu’il me fallait un coup de main pour contrer les angoisses générées par cette annonce etc. C’est essentiel. J’ai reçu une information et j’ai dû me débrouiller avec, alors que c’est bien plus qu’une information, c’est un destin. On a publié un livre rien que là dessus à Dingdingdong : L’Epreuve du savoir, de Katrin Solhdju (2015). Qu’est ce que tu fais de ces paroles ? Quand les médecins te disent, « il va se passer ci ou ça », c’est comme si Dieu te parlait parce que les médecins ont un pouvoir prescriptif absolu. Donc quand ils te disent que tu vas faire une mauvaise mère ou d’autres choses, tu dis « ok » : tu suis, tu obéis. Or, ce n’est pas leur rôle de dire des choses pareilles ! Qui sont-ils pour dire que quelqu’un va être un bon parent ou pas ? Au contraire, ils devraient se dire que la minorité des personnes qui passent ce test seront sur-responsables, du fait de se savoir porteurs !
Le réseau d’entraide pour personnes porteuses et malades de Huntington que j’ai développé aujourd’hui est basé là-dessus. La question de la parentalité, la question d’être un être humain qui ne va pas faire de mal à ses prochains, elle est au centre de nos vies parce qu’on se sait porteurs. Donc de nous dire tout ça, non seulement c’est inadmissible parce que ce n’est absolument pas leur rôle, dans mon cas c’était un neurogénéticien, mais en plus, c’est faux. En tant que clinicien, s’ils n’ont pas un médicament pour retirer cette maladie qui, en effet, est incurable, ils ont des moyens pour accompagner l’évolution, pour que ça se passe le mieux possible, qu’on aide à plein de choses pour récupérer des capabilités, du confort, au niveau existentiel, social, économique. Ça peut être des aides pour gérer le quotidien, la maison, aider à compenser quand on peut moins travailler par exemple. Il faut aider, accompagner et renforcer plutôt que démotiver. Toutes ces choses sont bien comprises et mises en place pour les handicaps physiques, mais quand la maladie touche le psychique et la cognition, on continue en France de nier aux personnes la possibilité d’être actrices de leurs maladies.
« Ne nous définissez pas sans nous ! »
Et là on touche la raison d’être de Dingdingdong.
J’ai commencé à rédiger la partie témoignage de ce qui allait devenir Le Manifeste de Dingdingdong tout de suite après le test. Puis je l’ai fait lire à des proches, dont mon amie Valérie Pihet, et cela a pris sept ans, mais on a décidé d’en faire quelque chose. Valérie Pihet a un talent professionnel complètement unique : elle sait créer de l’intelligence en frottant les disciplines et les pratiques entre elles – notamment les pratiques artistiques et des sciences humaines (elle a créé et dirigé l’École expérimentation art et politique à Science po !). De là, Valérie sait faire jaillir, comme d’autres des étincelles en frottant des cailloux, du politique. C’est son travail. Or on vivait ensemble à ce moment là et on parlait bien sûr beaucoup de toute cette histoire. Un jour elle m’a dit : et si on se lançait ? Et si on fondait notre propre machinerie de production des savoirs qui nous manquent sur Huntington ?
On a décidé de vraiment se mêler de cette histoire, en injectant ce qui faisait défaut aux savoirs médicaux : l’expérience des usagers. Certains médecins, au début, ont réagi à notre initiative, en s’étonnant et en déclarant que chez eux personne ne s’était plaint en 20, 25 ans de test. Mais évidemment quand on est tout seul, c’est super dur de se plaindre. Non seulement tu es assommé, mais en plus tu es seul. Se plaindre tout seul, ça ne fait aucun effet. Il faut un collectif pour être entendu et pris au sérieux, c’est toute l’histoire des collectifs d’usagers de la santé qui nous l’apprend !
Pour commencer, on voulait être membre actif de la conception des définitions de Huntington : ne nous définissez pas sans nous ! Alors en 2012, avec une bande d’amis, nous avons créé Dingdingdong, Institut de coproduction de savoir sur la maladie de Huntington. Ddd est un Institut à la fois fabulé et véritable qui a pignon sur rue dans le monde du Web à l’adresse Dingdingdong.org. Ddd réunit une équipe d’une quinzaine de philosophes, d’historiens et d’artistes que le travail de reprise à nouveaux frais de cette maladie intéresse fondamentalement. C’est un collectif qui s’est fondé pour gagner le pari suivant : la maladie de Huntington est une occasion de faire pousser de la pensée.
Ddd a été créé pour engager un certain nombre d’enquêtes sur la façon dont les gens de Huntington (que nous appelons les huntingtoniens) créent leurs propres manières de vivre cette maladie. Un travail pour révéler et attiser les forces et les inventions discrètes, quasi invisibles, déployées par ces personnes.
Vous recueillez des témoignages ?
C’est beaucoup plus que des témoignages. On rencontre les gens pour réfléchir avec eux. On enregistre nos discussions, on leur fait relire les transcriptions, on revient sur leur récit qu’on écrit ensemble. On rentre vraiment dans la matière expérientielle de la maladie, on essaie de mettre des mots sur des choses qui n’en ont pas. Pour diffuser tout ça, on a dû créer notre propre maison d’édition. On fait beaucoup de conférences, beaucoup d’interventions dans les facs de médecine pour prendre le problème à la source. On fait des expos, des spectacles aussi pour impacter les gens parce qu’un spectacle parvient à évoquer des choses que les conférences et les livres peinent à exprimer. La médecine n’est pas seulement de la science mais c’est aussi un art comme le disait Oliver Sacks, grand neuro-psychologue. Et pour appréhender une métamorphose comme celle qu’entraîne Huntington, les sciences sociales et les arts sont nécessaires et doivent travailler ensemble avec la médecine. C’est bien plus intéressant par exemple d’appréhender la chorée avec une danseuse et chorégraphe ! Un neurologue qui observe une chorée, ne voit juste que des mouvements anormaux, alors qu’une danseuse, comme Anne Collod dans notre collectif, voit totalement autre chose. Son regard est une mine d’or pour nous, elle voit des trajectoires, des logiques que nous n’avions jamais vues dans ces mouvements.
À Ddd, on cherche donc à repeupler le désert qui était autour de Huntington, qui n’était qu’un destin tragique de détérioration annoncé. L’idée est de regarder les choses avec des filtres qui ne sont pas terrifiés mais au contraire intéressés par ce qui compose les métamorphoses Huntington.
C’est vraiment un boulot de fond pour pouvoir dire, ce n’est pas que ça, c’est aussi ça et ça et ça. Et à la fin ça se termine mal, certes, mais est-ce que tout le problème de Huntington doit se résumer par sa fin ? C’est comme si je disais à un gamin de 6 ans : « je vais t’expliquer ce que c’est que la vie : à la fin tu ne peux plus manger tout seul, tu fais dans ton froc, tu ne peux plus rien faire, t’es moche, tu pues, tu perds la mémoire ». Je force un peu le trait mais il y a de ça !
Tout ça tu le fais sous le nom d’Alice Rivières qui n’est pas ton vrai nom
C’est le nom de mon personnage. Avec Huntington on est obligés de se planquer. Je n’ai pas honte du tout, c’est même une espèce de fierté comme tu peux le voir. Par contre je suis obligée de protéger les gens de ma famille qui sont, du coup, aussi à risque. Si je parle depuis mon nom civil, je les embarque d’office et ce n’est pas cool. Chacun est libre de le dire ou pas, chacun a ses rythmes à ce sujet et il est primordial de les respecter. D’autre part, il y a énormément de risques au niveau assurantiel, au niveau banque, au niveau du travail et tout simplement de la vie tout court. Moi par exemple j’ai une double maladie, j’ai essayé de contracter une assurance invalidité il y a 2 ans et pour l’instant ce n’est pas possible. Il faudrait que je fasse un recours, mais je n’ai pas le temps et surtout je n’en aucune envie. Mon temps de militantisme, je n’ai pas envie de le passer dans ces histoires d’assurances.
Par ailleurs, comme je suis écrivain, le personnage d’Alice me fait aussi beaucoup travailler en tant que romancière et ça m’aide énormément à vivre toute cette histoire, parce que je l’affabule, je m’imagine, ça m’aide à avoir accès à des forces qui étaient contenues en moi comme celle de l’écriture. C’est pour ça que je dis que ce n’est pas vraiment un pseudo mais un personnage qui circule dans le « Huntingtonland ». Je fais des conférences, et parfois même des performances sous cette identité.
Par contre sous ton vrai nom dans la vie de tous les jours, tu ne caches pas aux gens que tu es malade ?
Non, je ne le cache pas mais je ne dis pas non plus à chaque personne que je rencontre : « bonjour, j’ai Huntington ». C’est comme pour la Sep, je ne dis quasiment à personne que je l’ai. Je n’ai pas envie de le mettre en avant, sauf quand c’est vraiment pertinent. Il y a énormément de raisons qui font qu’on peut souhaiter rester discret à ce sujet, notamment l’envie, je crois, que ça ne pèse pas dans la relation que l’on a avec autrui. Discrétion = légèreté, et moi je suis une fan de la légèreté. J’ai horreur du pathos.
Pour le cas particulier de la Sep, je ne suis pas militante dans le monde de cette pathologie parce que je ne peux pas être militante partout, et que la Sep est très bien dotée. Quand tu regardes ce qui existe en matière d’accompagnement pour la Sep et pour Huntington… c’est incomparable et c’est peut-être beaucoup cela qui m’a incitée à justement travailler sur Huntington depuis que je sais que j’ai la Sep ! En ce moment les symptômes qui m’embêtent le plus sont ceux de la Sep. Mais pour la Sep, j’ai des options thérapeutiques, j’ai un traitement de fond, j’ai un accompagnement qui me permet d’appeler jour et nuit une infirmière si j’ai un problème, je participe à des ateliers thérapeutiques, il y a de l’ETP (Education Thérapeutique du Patient) en veux tu en voilà. Tout est bien développé pour la sep. Pour Huntington il y a très peu : les personnes en cas de crise attendent parfois jusqu’à 1 an et demi pour avoir un rendez-vous chez un neurologue ou un psy spécialiste. Donc il y a vraiment un déséquilibre dû au fait de la rareté, qui est très injuste : le critère de la rareté est tout sauf un critère juste. On souffre de la même façon.
Puisqu’on en est sur les pseudos, qu’est ce que Tahiti Douche ?
Dans le roman Réveiller l’aurore, qui est le roman de « naissance » d’Alice Rivières, publié en 2009 aux Éditions du Seuil, quand elle apprend qu’elle est touchée par Huntington, le monde se désertifie, elle sombre, et une des choses qui va l’aider à remonter petit à petit c’est un objet avec lequel elle va avoir une relation très intime, un Tahitidouche, petit cube de bain moussant, populaire et industriel qui se trouve être né dans les années 70 comme Alice. Elle part dans tout un trip : il existe dans le monde un médicament pour guérir Huntington et Tahitidouche l’aide dans toute sa fantasmagorie, surtout parce qu’il est le spécialiste de la mousse ! Pour Tahitidouche, l’élan vital, autrement dit la puissance, est incarnée dans la mousse. C’est l’une des métaphores qui m’ont bizarrement le plus aidée à me recomposer tout doucement. Comme dit Tahitidouche à Alice :
« Qu’est-ce que tu crois ? Une puissance, ça ne naît pas puissant. Ça naît petit, vulnérable, dépendant. Ça se cultive, ça se bichonne, ça se nourrit. Une puissance, il faut l’entourer d’un minimum d’attention sinon ça ne grandit pas et même pire : ça peut crever. »
La fabrique de la mousse, que ce soit pour moi-même en tant que malade, ou pour le collectif dans le cadre de la militance autour de la MH, est restée mon modus operandi existentiel !
Il y a le Huntingtonland aussi…
Comme son nom l’indique, le Huntingtonland est le pays de Huntington. À Ddd, on appelle ainsi l’univers de ceux qui sont touchés, de près ou de loin, par cette histoire et que nous arpentons tel l’équipage du Nautilus dans Vingt milles lieux sous les mers. La narration, la littérature, le romanesque sont essentiels pour Dingdingdong, parce que cela contribue à nourrir un imaginaire qui était complètement confisqué par les visions uniquement tragiques et terrorisantes de la MH.
Et ce qui est génial c’est que ça a transpercé au delà de Dingdingdong ! Maintenant quand je vais faire des conférences, que ce soit en France ou à l’étranger, on me dit : « venez-nous parler du Huntingtonland ! »
« Dans le Huntingtonland, on a un mot d’ordre : si on te dit qu’il n’y a rien à faire, tourne le dos et va t-en»
Comment va ta maman aujourd’hui ?
Elle va bien ! C’est très intéressant, son évolution. Elle est en chaise roulante maintenant, elle est dans un EHPAD mais paradoxalement elle se sent mieux qu’avant. On a tellement su déployer un art de vivre avec ça en la mettant totalement au centre de son propre soin. C’est-à-dire qu’elle reste actrice d’un bout à l’autre de son histoire, contrairement à la malédiction des médecins qui disaient que quelque soit la manière dont on le prendrait ça ne changerait rien puisqu’elle serait démente. C’était une condamnation de toutes les possibilités de faire alors que c’est totalement faux. C’est juste que ça demande plus d’efforts. Il faut se mettre à la hauteur du problème et inventer des manières de communiquer, de faire relation, de se déplacer là où elle se trouve, dans sa « zone ». Mais ça vaut vraiment le coup parce que notre maman, pour quelqu’un qui est très avancée dans sa maladie, qui a 73 ans et qui a contracté ça depuis plus de vingt ans, vit pleinement. Elle nous a même proposé qu’on parte en vacances tous ensembles et c’est ce que nous avons fait cet été. Pour quelqu’un qui est soi disant dément, c’est pas mal.
Donc ce sont tes activités associatives qui ont joué là-dessus ;
Bien sûr. Parce que c’est beaucoup grâce aux autres que j’ai appris. C’est de l’entraide. Je vais voir mes grands frères et mes grandes sœurs Huntingtoniens, je regarde comment ils font avec leurs parents et entre eux. Dans le Huntingtonland, on a un mot d’ordre : si on te dit qu’il n’y a rien à faire, tourne le dos et va t-en.
Pourquoi avoir rejoint ICA ?
Où vivre et comment vivre, ce n’est pas seulement une question d’habitat et de lieu de vie, c’est aussi une question de définition médicale, de champs disciplinaires, de la façon dont les disciplines délimitent des territoires où nous sommes consignés. Par exemple refuser de vivre dans le pays, ultra circonscrit, normé, protocolarisé, des maladies neuro dégénérescentes pour décider de vivre dans le pays des maladies chroniques. Ce n’est pas qu’une histoire de mots moins désespérants, cela nous engage dans un devenir différent parce que dans le pays des maladies chroniques, où la question n’est pas de mourir dégénéré mais de vivre, tout du long, avec sa maladie, les institutions et les pratiques ne sont tout simplement pas les mêmes. Un tel déménagement conceptuel pour Huntington n’aurait jamais pu se faire sans les [Im]patients Chroniques et Associés ! C’est à ICA qu’on apprend énormément ce que AIDES appelle la Vivrologie : l’art de vivre avec sa maladie. Pour Huntington, c’est tout nouveau.
Le projet Absolute Beginners
Depuis plus de deux ans, nous avons entamé tout un travail avec et pour les Absolute Beginners, tels que nous proposons d’appeler ceux qui débutent leur MH. Nous y travaillons depuis avec six usagers volontaires. Il s’agit d’écrire un manuel de « vivrologie » par et pour les Beginners. Un film vient aussi d’être tourné, co-écrit par les Beginners qui ont tant de choses à dire aux habitants du Huntingtonland. Vous le découvrirez d’ici quelques mois ! Prendre ainsi les choses depuis le début, depuis ce que certains appellent la « pathologie invisible » nous apparaissait essentiel parce que d’abord cela n’avait jamais été fait, ensuite cela correspond à une phase très douloureuse, celle où les transformations se font sentir chez les personnes à un niveau extrêmement intime et difficile à communiquer, alors que l’impact, notamment des troubles cognitifs qui commencent, peut être immense au niveau familial et professionnel. On s’est aussi inspirés du travail de l’AFH sur les patients sentinelles : le fait que des personnes atteintes d’hémophilie puissent ressentir, voire apprendre à ressentir, leurs propres symptômes de manière précoce est très intéressant parce qu’alors ces personnes peuvent mettre en place des stratégies au cœur même de leur vie et y faire face de manière bien plus constructive que si elles subissent cette situation. Ce travail de Ddd a remporté deux Lauriers de la Fondation de France en octobre 2017, dont le concours national du Laurier du Public.
Les éditions Dingdingdong ont récemment sorti leur quatrième livre, « Le Chemin des possibles », résultat d’un travail de trois ans mené auprès d’une soixantaine de personnes, malades, familles, soignants, associatifs concernés par la maladie de Huntington. Pour avoir plus d’informations et pour commander le livre, rendez-vous ici.