Avec la loi du 20 juillet 2011, la médecine du travail va profondément changer de visage. Les professionnels de santé ne décolèrent pas. Ils craignent à la fois pour leur indépendance et pour la santé des travailleurs.
Avant la réforme, grâce à une loi datant de 1946, la répartition des rôles entre employeurs et médecins du travail était claire. La gestion des services de santé au travail était dévolue aux employeurs, les médecins inclus dans ces services assuraient, en parfaite indépendance, le suivi des salariés. Leur mission comprenait à la fois la prévention des risques professionnels et la protection, plus étroite, de la santé des travailleurs. Ce temps semble bel et bien révolu. C’est désormais le conseil d’administration de l’entreprise, l’employeur donc, qui décidera des actions prioritaires à mener et fixera les objectifs à atteindre. En somme, comme le note Isabelle Fortier, médecin du travail spécialisée dans le handicap, « nous ne sommes plus décideurs ! »
« C’est extrêmement malsain, s’insurge Gérard Lucas, médecin du travail au Ministère de l’Ecologie. Ce n’est pas à l’employeur de dire ce qui atteint la santé des travailleurs. Il y a là une confusion majeure des rôles ». Même indignation de la part de la CFTC, la CFE-CGC, la CGT, FO et Solidaires, qui dans un communiqué, pointent du doigt un « conflit d’intérêt majeur ». Comme le rappelle le Dr Mireille Chevalier, secrétaire générale du SNPST, « tous les employeurs ne sont pas vertueux, on l’a vu avec l’amiante, on le voit aussi avec les difficultés que l’on a à faire classer au niveau européen la silice comme cancérigène, sous la pression des lobbys patronaux. Cette loi est une régression pour la santé des salariés ».
Une équipe pluridisciplinaire… et tellement disciplinée !
Officiellement, la raison d’être de la réforme est démographique. Au 1er janvier 2010, on ne comptait que 6435 médecins du travail (équivalents temps plein) pour quelque 16 millions de salariés. Or, la moitié des médecins du travail partiront dans les cinq à venir et ne seront pas remplacés. D’où l’idée de leur apporter l’aide d’une équipe pluridisciplinaire comprenant des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) pouvant être ergonomes, psychologues, toxicologues, ingénieurs, infirmiers,… Or, il est prévu que le travail de cette équipe soit subordonné au projet de service approuvé par le conseil d’administration (article 13 du projet de loi). De plus, il est dit dans l’article 1 de la loi du 20 juillet 2011, que l’employeur désigne lui-même les salariés chargés de s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise. Les personnes choisies seront donc les simples exécutants de celui qui génère les risques professionnels. Là encore, le risque de conflit d’intérêt est évident !
La gouvernance au cœur des débats
Autre pomme de discorde : la gouvernance des services interentreprises de médecine du travail (beaucoup de structures qui ont trop peu de salariés pour avoir leur propre médecin adhèrent à ce type de service). Il a finalement été décidé que la présidence des conseils d’administration serait confiée aux représentants des employeurs. Même les sénateurs, avaient, contre l’avis du gouvernement, décidé qu’ils devraient logiquement être composés à parts égales de représentants des employeurs et des salariés, avec une présidence alternée. Peine perdue. Ironie ou cynisme, Xavier Bertrand salue aujourd’hui « l’équilibre » trouvé sur la question de la gouvernance.
Rendez-vous en 2012
La loi du 20 juillet 2011 marque un tournant majeur dans les conditions d’exercice de la médecine du travail. Mais les nombreux syndicats opposés à l’esprit de la réforme et attendent impatiemment les textes règlementaires prévus dans les prochains mois. Gérard Lucas, quant à lui, ne se fait pas d’illusion : le prochain round se jouera en 2012. « Il faudra certainement un changement politique pour qu’on change de loi ».
Charles Nys
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