Sous prétexte de sauvegarder notre système de santé, l’Etat s’est, ces dernières années, résolument tourné vers sa privatisation. Les principales victimes de cette évolution sont les personnes les plus faibles (au premier rang desquelles celles atteintes de maladie chronique). Pour elles, les charges supplémentaires n’ont pas des allures de petits restes… Jamais, depuis cette dernière législature, l’Etat ne s’était autant désengagé dans la prise en charge des coûts de santé des personnes.

Ces derniers mois, près d’un tiers des Français ont dû renoncer à se faire soigner, faute d’argent, contre 11 % il y a deux ans*. En cause : les restes-à-charge (la part des dépenses de santé non remboursées par l’assurance maladie) qui ont littéralement explosé ces quatre dernières années. La création des franchises médicales (0,50 € par boîte de médicaments, 0,50 € par acte paramédical, et 2 € par transport sanitaire) est une des atteintes les plus importantes à l’accès aux soins. Mais ce n’est pas la seule. La hausse du forfait hospitalier (de 16 à 18 € par journée d’hospitalisation) et le déremboursement des médicaments sont également passés par là, tant et si bien que, pour une personne atteinte de maladie chronique, les dépenses de santé non remboursées sont désormais de l’ordre de 500 à 3000 euros par an. Lorsque l’on est en situation de précarité, cela suffit à donner au parcours de soin des allures de calvaire.

Cas d’école L’exemple d’Ashley est significatif. Les ressources mensuelles de cette jeune femme séropositive s’élèvent à 978 €, ses charges à 617 €. Elle n’a matériellement pas pu souscrire à une couverture complémentaire suffisante au regard de ses besoins, et aujourd’hui, elle ne peut assumer les 15 jours de forfait hospitalier non couverts par sa mutuelle. Autre cas, celui de Claudine, 53 ans, atteinte de sclérose en plaques depuis 2006. Ses ressources actuelles (860 €) sont inférieures au seuil de pauvreté et ne lui permettent pas de couvrir ses frais dentaires et l’achat de nouvelles lunettes.

Chaque jour, les associations regroupées dans le collectif [im]Patients, Chroniques & Associés sont sollicitées par ces personnes en situation de survie. L’Etat, en se désengageant, a cru très fort au pouvoir de substitution des complémentaires santé, sans forcément penser que ces dernières allaient simultanément augmenter le montant de leurs cotisations. Résultat : une logique « perdant-perdant », dans laquelle les assurés sociaux comme l’assurance maladie s’appauvrissent. Car rien ne coûte plus cher qu’une personne renonçant à se soigner. L’adage « mieux vaut prévenir que guérir » a en effet une logique financière, comme en témoigne Jean-Claude Malaize, vice-président de l’AFSEP**. « Des crèmes destinées à prévenir les escarres, 15 € le tube, ne sont plus remboursées. On préfère attendre que l’état du patient empire et ne rembourser que lorsqu’il coûte beaucoup plus cher ».

Médicaments de confort ( ?) Chaque année, c’est par centaines, que des médicaments dits « de confort » sont déremboursés, partiellement ou totalement. Un confort tout relatif, si l’on en croit Tiago Douwens-Prats, président de Keratos***. « Les traitements pour les personnes ayant des problèmes lacrymaux se sont améliorés, grâce notamment aux verres scléraux. Malheureusement, les produits permettant de les entretenir ne sont pas remboursés ». Plus absurde encore, les incapacités des personnes atteintes de sécheresse oculaire, et autres pathologies de la surface de l’œil – un handicap particulièrement lourd – ne sont quasiment pas intégrées dans le guide-barème des MDPH (les personnes atteintes ne peuvent donc prétendre ni au statut de travailleur handicapé, ni à l’AAH, ni à la carte d’invalidité) … alors même que les problèmes de larmoiement ouvrent accès à ces droits. « Cela revient à dire : revenez nous voir lorsque vous serez aveugle », s’indigne Tiago Douwens-Prats. A noter que ces pathologies ne donnent pas non plus accès au dispositif des ALD (prise en charge à 100%). Mais l’heure n’est vraisemblablement plus à la logique, ou seulement financière.

Cet été, une mesure sans précédent a été prise, en toute discrétion. Pour la première fois depuis 1945, une ALD, l’hypertension sévère, a été retirée de la liste officielle des affections longue durée. « Par la seule magie du pouvoir réglementaire, les hypertendus sévères ne seraient-ils plus malades ? » s’étonne le CISS, qui le 25 août dernier a déposé un recours en Conseil d’Etat contre ce décret. Le système de santé français est-il en train de devenir un système à deux vitesses ? peut-on s’interroger à notre tour. Pour 51 % des Français, en tout cas, il ne garantit plus l’égalité entre les citoyens*.

Charles Nys

*Sondage CSA pour Europ Assistance, publié vendredi 28 septembre.

** AFSEP : Association française des sclérosés en plaques

*** Keratos est une association qui fédère des personnes atteintes de pathologies de la surface oculaire et de dysfonctionnements lacrymaux.

Illustration: Rash Brax