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Rencontres et maladie mentale : un site Internet dédié

Un site de rencontre spécialisé créé par une personne atteinte d’une maladie mentale, qu’elle situe entre la schizophrénie et la bipolarité, qui affiche clairement son slogan : « A 2 esprits différents formons un couple 2 fois plus fort ! » Dans sa présentation, l’administrateur du site explique que : « Bien que généraliste ce site de rencontres donne la priorité aux personnes ayant une maladie mentale » et met en garde : « Avant d’entrer sur ce site on laisse dans sa poche ses préjugés, ses appréhensions et ses peurs de la différence ! ». Il a détaillé ce projet inédit au site Seronet.info, ainsi que ses objectifs et l’état d’esprit qu’il y défend.

Le point de départ du lancement de votre projet est la recherche d’un site de rencontres adapté aux personnes en situation de handicap mental. Pour vous, qu’est-ce qu’un site adapté et quelles sont les différences par rapport aux sites existants ?
Il y a plusieurs points de départ. Sur les sites classiques comme « meetic » ou « e-darling », dans les annonces des femmes – de ce que j’ai pu en voir parce que je suis un homme hétéro et que je n’ai pas testé d’autres combinaisons – 9 fois sur 10 le contenu indique : « Si vous n’êtes pas saint de corps et d’esprit, passez votre chemin ». Et il y aussi des mentions du genre : « Si vous n’avez pas une bonne situation » ou encore « Femme exigeante ». Quelle que soit la formulation si on ne correspond pas aux standards de beauté et de situation sociale, on n’a aucune chance et on paye un abonnement parfois exorbitant pour rien. Ceux qui ont une différence et qui y vont malgré tout peuvent finir ruiné à cause d’une arnaque venue d’Afrique ou d’ailleurs ou encore et surtout pour les femmes, elles se font séduire, sauter, et jeter par des chasseurs de sexe.

En dix ou douze ans, j’ai pris deux abonnements sur « Meetic » et une fois sur « No-kid ». Personnellement je pense que No-kid c’est de l’arnaque. Vous croyez entrer sur un site aux critères spécifiques mais au final vous vous retrouvez sur un site généraliste médiocre où tout le monde est mélangé, bilan : 200 euros à la poubelle.
Comme base de départ, il y a une longue période de frustration d’être ignoré voire rejeté. A l’époque, j’ai cherché un site de rencontres adapté aux personnes atteintes de maladies mentales et je n’ai trouvé que des sujets abordant ce thème sur des forums où certains témoignaient avoir essayé les sites pour handicapés physiques, mais d’après les commentaires postés personne n’en était satisfait.

Comme autre source d’informations, il y a bien sûr la télévision. Je suis abonné à Canalsat et les documentaires ou émissions traitant des handicaps, j’en ai vu une grande quantité. Mais là où l’idée a commencé à germer (si mes souvenirs sont bons) c’est en lisant un sujet de discussion sur un site de drague réservé aux schizophrènes sur doctissimo. Ensuite ce qui m’a poussé à agir c’est mon inscription sur Seronet où j’ai testé mon idée « d’association » : Je m’étais dit qu’un schizophrène pouvait se mettre avec une personne séropositive… Eh bien, je n’ai pas eu un seul contact. C’est à ce moment là que j’ai eu l’idée de créer mon propre site de rencontres spécialisé dans les maladies mentales. Avant de me désinscrire, j’avais demandé à Seronet la permission de faire un « copier/coller » partiel de leur charte d’utilisation pour rendre la rédaction de la mienne plus facile (autorisation qui m’a été accordée). Une fois mon site ouvert, j’ai recontacté Seronet pour leur dire que j’avais réussi à mener mon projet à bien et après une suite d’échanges de mails il m’a été proposé de répondre à cette interview.

Avant de lancer ce projet, en avez-vous parlé autour de vous ? Avez-vous testé l’idée auprès de proches, de connaissances ? Avez-vous recensé les besoins des personnes concernées ou êtes-vous plutôt parti de votre expérience personnelle ?
Oui, j’ai parlé de ce projet à mon entourage et à mes médecins sous une forme simplifiée : « Un site de rencontres spécialisé dans les maladies mentales » car je n’avais pas encore trouvé le concept. Avec comme argument supplémentaire qu’il y avait une demande mais qu’il n’en existait aucun. Tout le monde a été emballé, excepté l’un de mes voisins qui n’a pas été rebuté par l’idée mais par la somme d’argent que j’allais devoir dépenser pour le réaliser ; son échelle de valeurs est très différente de la mienne.

Selon votre expérience, quel accueil est fait sur les sites classiques pour les personnes en situation de handicap ? Trouvent-elles une place ?
Je pense avoir répondu à ces éléments à la première question. Cependant j’aimerais ajouter quelque chose… J’ai encore « craqué » et je viens, il y a quelques jours, de m’inscrire pour une troisième fois sur « Meetic », histoire de tester un nouvelle tactique d’approche. Pour faire simple, j’essaie de prendre les candidates à contre-pied, sans mentir mais sans dire la vérité d’entrée.

Votre charte d’utilisation qui comporte huit points est très élaborée. Si vous deviez définir l’esprit, les valeurs de votre site, que mettriez-vous en avant ?
Je dirais la tolérance et le partage. C’est très simple avec le concept de mon site, quand on a une différence, de se mettre en couple ou encore en colocation à deux, trois ou quatre… A noter que ce type de colocation existe déjà par le biais de certaines associations. Des personnes avec un même handicap ou des handicaps différents. D’ailleurs un documentaire télévisé sur ce dernier point m’a conforté dans le concept pour mon site car un couple « disparate » s’était formé. J’ai cependant en réserve un exemple inverse que j’ai également vu à la télévision : un médecin dans un hôpital a surpris une lourde handicapée physique en « pleine action » avec un handicapé mental. Le médecin, choqué, les a séparés en leur disant qu’ils n’avaient rien à faire ensemble. J’arrête ici ma réponse car si je dis le fond de ma pensée sur les droits de l’homme en France ça va dégénérer.

Qui sont les personnes inscrites à ce jour à votre site, quels retours et commentaires font-elles sur le site ?
Cela fait trois mois que le site est ouvert et pour l’instant il n’y a qu’une poignée d’inscrits et malgré une campagne de publicité faite par courrier auprès de tous les psychiatres, psychologues, centres spécialisés et hôpitaux de ma région, plus quelques uns au-delà de ce périmètre je n’ai eu, à ce jour, aucun retour. A part ceux de Seronet et de mon psychiatre. Ce dernier est content que je m’investisse dans une occupation mais regrette que cette occupation ne me fasse pas sortir de chez moi. Je suis tellement solitaire et casanier que j’ai dû mettre des panneaux solaires dans ma voiture pour maintenir la charge de la batterie.

Sur un plan plus personnel, que vous apporte cette aventure de lancer un tel site, de le développer avec vos moyens personnels ? Qu’est-ce qui vous anime dans ce projet ?
La première chose que cela m’apporte est d’avoir « rempli une mission ». Il y avait une demande, j’étais concerné et j’avais peut-être les moyens financiers et intellectuels d’apporter ma contribution à la société. Je suis célibataire, sans enfant, vivant avec ma mère et comme elle est propriétaire, j’ai plus d’argent de poche qu’il ne m’en faut, mais cette situation ne durera pas toujours ; un jour ma mère ne sera plus là et si je ne prends pas les devants je risque d’avoir des problèmes plus tard. Le but à atteindre est de rencontrer quelqu’un, que ce soit une compagne ou une assistante à domicile qui, en échange du loyer (la maison est grande) pourrait s’occuper de l’intendance car en périodes de crises, si personne ne va au ravitaillement, c’est certain je meurs de faim dans les trois mois qui suivent…

On pourrait, de prime abord, être marqué par l’audace de la formule en Une de votre site : « A 2 esprits différents formons un couple 2 fois plus fort », qu’est-ce qui vous a fait choisir ce slogan ?
C’est une scène dans « Ben-Hur » (1959) qui m’a inspiré le plus. Dans le genre, c’est mon péplum préféré et à force de le regarder je le connais par cœur. J’ai d’ailleurs mis cette séquence en vidéo sur le site ainsi que deux autres extraits d’autres films afin d’illustrer le concept. Bien que cette scène montre deux handicaps physiques, je me suis dit que cela pouvait être facilement transposable aux maladies mentales et même à toutes sortes de handicaps. En fait, je ne sais plus qui est arrivé en premier : le slogan ou le nom de domaine. C’est comme l’histoire de l’œuf et de la poule ! On me compare souvent à MacGyver, dans le sens qu’en ce qui concerne l’association d’idées pour trouver des solutions à un problème, je suis super doué. Sinon quoi dire d’autre… La construction du site a pris 4 ans pour un budget total de 2 500 euros et ce n’est pas fini car bien qu’opérationnel, les fonctions du site sont pour l’instant basiques, il y a encore beaucoup à faire. Un grand merci à mon webmaster qui m’a fait un prix social et qui m’a également permis de payer en plusieurs fois. Ma participation à la construction n’est pas négligeable, sans quoi ce projet aurait pu me coûter le double : Le choix du nom de domaine ; le slogan ; le jeu de symétrie sur la page d’accueil ; l’encodage avec les sous-titres des trois vidéos ; le logo. Pour le logo par exemple qui représente des demis cœurs qui se tiennent par la main, je me suis inspiré de cliparts existant et de l’univers manga.

Votre site est gratuit mais vous auriez pu le faire payant afin de ne plus être tributaire d’une pension d’invalidité ?
C’est ce que j’avais pensé dans un premier temps avec un abonnement symbolique de 1 euro par an, mais pour cela il fallait que je m’inscrive comme auto-entrepreneur. Dans l’absolu, cela ne me dérangerait pas de payer des impôts, mais ce qui est embêtant c’est la paperasse que cela aurait engendré. Quand je suis en crise, rien que de remplir mon nom et mon adresse dans un formulaire est une vraie torture. L’idée de faire un site payant était bonne, mais ingérable à moi tout seul. Alors j’ai changé mon fusil d’épaule et j’ai fait un site gratuit avec quand même un petit système de donation. L’idée est, quand la fonction sera opérationnelle, de donner une estimation du montant de la « caisse » sous la forme d’un feu tricolore ou d’un pourcentage, ainsi les membres pourront ajuster les dons en fonction des besoins de fonctionnement du site. Loin de moi l’idée de prendre de l’argent à des gens qui n’en ont pas, mais un petit coup de pouce occasionnel ça peut aider.

Interview publiée sur Seronet.info le 4 février 2014, mise à jour le 5 février 2015

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